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En janvier 2001, Jacques Billet, un habitant de Besançon, a adressé à la commune le témoignage de Camille Marquis, ami de ses parents. Instituteur au village dans les années 30-40, une fois en retraite, il avait rédigé ses mémoires et évoquait notamment cette triste journée du 16 juillet 1944. Ce jour-là, treize Montinois avaient été tués ou étaient morts en déportation.
C’est ce récit que le maire, Philippe Combrousse, a livré à la population réunie devant le monument érigé rue du 16-Juillet, après la messe célébrée par le père Franck Ruffiot en l’église Saint-Laurent le 18 juillet 2021. Les porte-drapeaux du 11e Chasseurs, du Souvenir Français, des anciens combattants de Bougey et de Montigny-lès-Vesoul ont été associés à cette cérémonie empreinte de souvenirs.
Intitulé "Un mauvais souvenir : 16 juillet 1944", voici le témoignage de Camille Marquis.
"En 1944, la guerre se prolongeait, les occupants n’étaient pas de bon poil ! Ils avaient la hantise des résistants et des FFI et n’hésitaient pas à intervenir parfois brutalement. C’est ainsi que ce 16 juillet 44, un dimanche, un fort contingent d’Allemands débarqua subitement à Montigny-lès-Vesoul. Ce jour-là, vers 11h, j’étais occupé à la mairie, je fus alerté par deux jeunes gens, Pierre Gillot et Gilbert Larchey, qui montaient en courant la rue de l’Abbaye en criant : "les Boches cernent le village". Emile Boussard, qui était près de moi, me dit : "Oh, ils font une manœuvre !" Je ne le crois pas, planque-toi ! Je sortis précipitamment. Je ne devais le revoir que le soir, le corps criblé de balles.
De la cour de l’école, j’aperçus deux Allemands, le fusil à la main, qui escaladaient la clôture de mon jardin. Je n’eus que le temps de me précipiter dans la buanderie où, quelques jours auparavant, je m’étais aménagé une cachette dans le clapier que j’avais coupé en deux par une cloison mobile. Je m’y glissais et, assis le menton sur les genoux, j’attendis… Les Chleus s’installèrent dans la cour. Ma femme, affolée, vint faire semblant de laver du linge dans la buanderie à côté de moi. Elle me renseignait à voix basse sur leurs faits et gestes.
Ils entrent dans les maisons, ils emportent du linge, des postes radio… Ils ont laissé le nôtre qui est en panne… Ils arrêtent les hommes. Ils viennent de mettre le feu chez Mimile Boussard et chez Aurélien. J’entendais les crépitements des flammes, puis ceux d’un dépôt de cartouches qui pétaradaient, puis plus tard des cris, une fusillade, quand ils abattirent Emile Boussard qui essayait de s’enfuir.
Un Boche vint visiter mes lapins ; celui-là avait le cœur tendre, car les jugeant trop petits, il les dédaigna et leur laissa même leur mère. Il ne me savait pas si près de lui ! Dans ma cachette, je me retenais de respirer, de tousser, d’éternuer, car une mince cloison me séparait de lui et de ses camarades qui, assis dans la cour, certains adossés à la buanderie, discutaient et riaient.
Je restais blotti dans ma cage de 11h à 15h, et je m’y faisais vieux. Ma femme apparaissait de temps en temps et continuait à me renseigner : ils ont emmené les hommes contre le mur des Gury… Ils viennent de tuer Dédé Perrot et Emile Boussard (que je venais de quitter à la mairie)… Les deux maisons brûlent encore… Voilà les camions qui s’en vont… Ils emmènent les hommes…
Quand, tout ankylosé, je peux quitter ma cachette, c’est la désolation dans tout le village : deux tués sur place, deux maisons incendiées, vingt-cinq otages emmenés ! Emprisonnés à quatre ou cinq dans des cellules étroites, ils seront interrogés, brutalisés, certains battus à sang ! Au bout d’une semaine, les premiers rentrent un à un, sales, maigres, barbus, hébétés, mais les dix derniers ne devaient jamais revoir leur village ! Déportés en Allemagne, ils connurent les Camps de la Mort lente et ne donnèrent aucune nouvelle.
Après l’armistice, des camarades rescapés, contactés par lettres, fournirent quelques vagues renseignements, mais ils ne purent ou ne voulurent, pour ménager les parents, émettre aucune précision sur leur sort : ils avaient dû prendre un train qui avait été bombardé… ou un bateau coulé par les avions… Les familles anxieuses attendirent, espérant toujours en vain. Les restes d’un seul homme, Jean Millot, furent plusieurs années plus tard ramenés au village. Pour tous les autres, au bout de cinq ans, la mairie reçut un extrait de décès officiel.
Bilan de cette funeste journée : deux tués sur place et dix disparus ! Il faut y ajouter trois mobilisés et un FFI tués au cours de la guerre, au total seize morts pour un petit village de deux cents habitants !
On ne connut jamais la cause exacte de cette expédition punitive. Dénonciation ? Bavardages inconsidérés ? Imprudence de jeunes gens qui, deux jours plus tôt, célébrèrent bruyamment la Fête Nationale en défilant drapeau en tête dans les rues en chantant la Marseillaise ?…
De leur côté, les Boches affirmèrent, ce qui est faux, que des coups de feu avaient été tirés le matin même sur un de leurs véhicules traversant le village. Ce qui est certain, c’est que, si, ce jour-là, je n’avais trouvé asile dans ma cabane à lapins, je risquais fort, moi aussi, de passer à la casserole !"
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